Bivouac au sommet de la Belle Etoile (1841 m) dans le massif des Bauges, les 22 et 23 août 2025.
Le choix de la sortie
Après l’épisode caniculaire, place à la goutte froide. Décidément, la météo semble ne pas vouloir faire dans la demi-mesure en ce mois d’août. L’air se fait plus respirable, lavé par des pluies bienvenues pour la végétation assoiffée. Vendredi oblige, il me faut trouver un endroit proche pour le bivouac post-travail. Un endroit semble tout indiqué : la Belle Etoile. Un lieu qui restera à jamais gravé dans ma mémoire où, il y a quinze mois, la foudre a traversé mon corps. Il est aujourd’hui temps de conjurer le sort. Ce sommet, au patronyme bienveillant mais chargé de souvenirs tragiques, ranime les mémoires de là-haut. Les prévisions sont consultées à maintes reprises et elles écartent tout risque d’orage.

L’ascension de la Belle Etoile
Néanmoins, la nébulosité est dense. Au petit matin, le brouillard s’accroche aux versants, peinant à se dissiper et menaçant de durer. Il y a donc autant de raisons d’espérer que de redouter. Peu après 17 heures, me voilà au parking des Teppes (1080 m), au-dessus du col de Tamié. Le Soleil s’est taillé une part belle dans le ciel de Savoie. L’itinéraire ne ménage aucun échauffement : un raide sentier grimpe à même la montagne. Il présente l’avantage de pouvoir gagner du dénivelé très rapidement, en dépit d’un sac à dos de 20 kg. En un peu plus d’une heure, j’émerge de la forêt pour atteindre la croix de Perillet (1710 m). Tous les jours, depuis chez moi, je lui adresse un regard de déférence. Elle apporte protection sur la vallée, dit-on.
Derrière elle, se dévoile l’objectif du jour, au bout d’une crête aérienne de cinq cents mètres. Au-dessus de ma tête, le tumulte s’est de nouveau installé, le brouillard coiffe bon nombre des sommets, dont la toute proche Dent de Cons. Pour compléter le tableau, le vent distille ses bourrasques, faisant danser la cime des sapins. 18h45, la Belle Etoile est atteinte. Les réminiscences du passé ressurgissent, d’autant plus que l’ambiance montre de multiples similitudes : où que se porte l’œil, les nuages accrochent les reliefs, dans des tons d’un gris menaçant ; plus surprenant encore, les jeux de lumière sur les Bauges rappellent ceux de la dernière fois, avec ce lac d’Annecy fantomatique en arrière-plan.

La brume s’invite
Bientôt, mes craintes sur l’évolution du temps se confirment. Le brouillard, qui mordait la Dent de Cons, s’engouffre par le col de l’Alpettaz puis glisse progressivement jusqu’à mon niveau. La visibilité se réduit à néant en quelques minutes. Un océan aux teintes argile se déploie partout autour et s’installe. L’astre incandescent disparait derrière l’horizon sans m’avoir laissé l’occasion de le saluer. Je profite encore de la clarté crépusculaire pour installer ma tente sur le seul replat disponible, au pied de la croix sommitale. Sur cette dernière, sont gravés ces mots en lettres saillantes : « Jésus, Marie, protégez-nous ». Je suis alors sous divine tutelle, rien ne peut m’arriver.
Alors que la nuit commence à s’installer, la brume se déchire et ondule sur cols et forêts, offrant quelques fugaces scènes emplies de poésie. Ne trouvant pas le sommeil, je patiente dans mon abri jusqu’aux environs de minuit. La toile est déjà trempée d’humidité. La voûte céleste, pourtant dépourvue de Lune, s’avère peu visible, en raison de l’éclairage urbain dans les vallées. La Voie lactée se distingue à peine dans l’azur, mais suffisamment pour tenter un timelapse. Comme dirait l’autre : ce n’est pas un échec, ça n’a pas marché. En effet, au bout de quelques minutes, la lentille de l’objectif s’est recouverte de condensation. Il fallait s’y attendre.


Féérie matinale sur la Belle Etoile
Après une courte sieste nocturne, je me réveille naturellement vingt minutes avant la sonnerie du téléphone. Comme pris d’un pressentiment, je passe la tête dehors. Quel spectacle ! La brume, en provenance de Haute-Savoie, s’immisce dans la vallée entre Faverges et Tamié, pour se déverser dans celle de l’Isère, au gré des cols. Un quart d’heure durant, j’immortalise ce ballet, mais de toute évidence, la marée est montante. Inexorablement, le rideau blanc envahit la Belle Etoile. Je me résous à penser que les festivités s’achèvent. Contre toute attente, des trouées se forment alors que le Soleil émerge par-delà le Mont Blanc. La dorure se répand dans la nuée vaporeuse, métamorphosant sans cesse les paysages.
Peu à peu, le sommet se laisse engloutir par le ressac de la mer de nuages, disparaissant sous le voile laiteux pour reparaître aussitôt dans une clarté diffuse. C’est alors que je décide d’aller contempler ce va-et-vient des flots depuis les airs, via le drone. Là-haut, la féérie est totale : Dent de Cons et Roc Rouge sont ceinturés par le brouillard, tandis que celui-ci vient buter sur la crête de la Belle Etoile, débordant par le col de l’Alpettaz. Albertville n’a jamais autant été sous la menace du Déluge.

Après huit heures, mon promontoire disparaît définitivement dans cet océan éphémère. Le retour vers le monde d’en bas s’impose. La Belle Étoile s’est fait pardonner les déboires d’antan, offrant des conditions exceptionnelles. Le pari était audacieux, mais l’abnégation semble avoir porté ses fruits. La nuit passée, humide et étroite, trouve enfin sa récompense, et je me retrouve réconcilié avec ce sommet, où l’étiquette de « maudit » n’a plus sa place.
