Bivouac au Mont Colombier (2045 m), massif des Bauges, les 10 et 11 octobre 2025.
Le choix de la destination
Mi-octobre, voilà nous y sommes. Les chaleurs estivales s’en sont allées, laissant la place à l’automne et ses ambiances majestueuses. Le vert des montagnes s’accompagne désormais d’une constellation de motifs de jaune à rouille, ultime euphorie de la nature avant le long sommeil hivernal. La période s’avère également propice aux brumes, muse qui anime tant ma vie de photographe.
Depuis quelques jours, les couleurs ont tourné en altitude, marquant le départ de l’éphémère laps de temps d’effervescence des forêts. Mieux, la veille, une vaste mer de nuages a envahi les Alpes, remontant jusqu’au sein des vallées internes.
Les prévisions sont formelles : ce phénomène ne durera pas, la brume devrait se dissiper dans le week-end, pour stationner dans le Nord-Isère, le Genevois et le Bugey. Hors de question de rater cette belle occasion, il faut monter dès vendredi. Toute la matinée, je reste obnubilé par l’évolution des conditions, scrutant les webcams du coin pour m’assurer de l’altitude de la mer de nuages et de son emprise géographique. Elle a déjà quitté Tarentaise et Maurienne mais semble bien se maintenir côté Bauges. Au dernier moment la destination est entérinée : cap sur le Mont Colombier. Sa position centrale dans le massif et ses abruptes pentes satisfont mes exigences.

Direction le Mont Colombier
A 14h30, me voici au parking le long de la piste forestière (1183 m), sous un ciel bas et lourd, comme dirait Baudelaire. Aussi pressé que déterminé, j’avale le dénivelé rapidement, malgré l’enclume de 20 kg qui me leste le dos. A mi-versant, je pénètre dans le brouillard, conférant aux bois une aura mystique. L’arrivée au col de la Cochette (1694 m) marque la dernière étape du parcours : l’haletante crête du Colombier, caractérisée par sa raideur. C’est aussi à ce niveau-là que le Soleil pointe son nez, apparaissant et disparaissant au gré des ondulations brumeuses.
Quelques centaines de mètres plus tard, le bleu de l’azur s’impose au-dessus de ma tête, dévoilant les sommets alpins, tels un vaste archipel. A 16h20, la croix du Mont Colombier est atteinte, les 850 mètres de dénivelé ont finalement été engloutis en 1h50.
Face à la mer de nuages
Là-haut, le calme se révèle absolu. Seul le tintement des cloches des vaches se fait entendre, dans l’alpage de Rossane en contrebas. Toute la fin d’après-midi est consacrée à la contemplation des paysages, lentement animés par le mouvement du brouillard qui ceinture les versants. L’unique replat du sommet est dédié à l’installation de la tente, dont l’une des absides tutoie le vide, heureusement que je ne souffre pas de somnambulisme. L’astre lumineux décline vers l’horizon, apportant ses tons orangés sur les lieux. Les voiles lointains altèrent cependant l’intensité du coucher de soleil. Le moment que j’attends le plus est enfin là : l’heure bleue, où la pénombre précédant la nuit permet d’allonger les temps de pose, tout en profitant des chaudes lueurs qui habillent encore la frange du monde. La brume, lissée par le temps d’exposition, associée aux teintes orangées du ciel, offre des images emplies de douceur et de poésie.

Sous la clarté lunaire
L’obscurité aura été de courte durée. Par-delà le massif du Mont-Blanc, jaillit la Lune, pleine à 80%. Progressivement, le sommeil des paysages se voit troublé par cette lumière nocturne. La mer de nuages prend alors des reflets argentés, tandis que la silhouette des montagnes se dessine au-dessus d’elle. Pendant près de deux heures j’immortalise ces scènes que bien peu de personnes ont eu l’occasion de voir dans leur vie, témoignant du privilège que j’ai d’être ici, récompensant en même temps l’effort et l’abnégation.
Contrairement à il y a deux semaines, où j’avais dû affronter des températures franchement négatives, la météo s’avère clémente, voire même agréable avec cette inversion, presque sans vent.

Aube au-dessus des nuages
A 6 heures le réveil sonne. Les toutes premières lueurs de l’aube se manifestent à l’est. Une fois encore, je capte le mouvement des brumes sous les tons rosés du jour naissant. Plus tard, le Soleil fait son apparition, éclairant une à une les cimes locales. Durant une bonne partie de la matinée, mon regard se perd dans les paysages, observant l’évolution du phénomène, notamment la dislocation graduelle de la mer de nuages. Elle a déjà perdu 300 mètres d’altitude depuis la veille, faisant émerger des sommets jusqu’alors engloutis.

Lorsque je quitte le Mont Colombier à 11 heures, elle a déjà déserté le cœur des Bauges, tandis qu’au loin, dans la vallée de l’Isère, elle semble s’évaporer inexorablement. La stratégie de monter ici le vendredi a été gagnante. Toutes les conditions ont été réunies pour faire figurer cette sortie parmi les plus prolifiques de cette année !
