
L’hiver météorologique a pris ses quartiers dans notre hémisphère. Il n’a cependant pas attendu le calendrier, offrant un bel épisode neigeux -jusqu’en plaine- sur la dernière quinzaine de novembre. Le climat n’étant plus celui d’autrefois, la blancheur qui recouvrait les alpages et forêts de moyenne montagne s’est vite évaporée, la faute à l’exceptionnel redoux qui a suivi.
Dans les vallées savoyardes, les mers de nuages constituent une tradition hivernale, en période anticyclonique et de stabilité des masses d’air. En cette mi-décembre, la brume rampe jusqu’aux portes de la Tarentaise : Grésivaudan, Combe de Savoie, les bassins chambérien et aixois, Bugey et autre Nord-Isère baignent dans cette matière vaporeuse. Des conditions idéales pour aller contempler le spectacle en altitude, ce dimanche. Un changement de temps est annoncé très prochainement, c’est donc sûrement la dernière occasion pour profiter de cette séquence.
Les contreforts préalpins demeurent une valeur sûre pour dominer ce phénomène. Parmi les possibilités qui s’offrent à moi, je choisis le même lieu qu’il y a un an à la même période : le Roc de Tormery (1135 m), au départ du lac de la Thuile. Le contexte météorologique montre bien des similitudes, à un détail près : la neige a totalement disparu du paysage local, quand je démarre le parcours, peu avant 14 heures. Seules quelques traversées de prairies, que le soleil ne parvient plus à éclairer à cause du relief, sont recouvertes d’une fine pellicule blanchâtre : le brouillard givrant de la nuit précédente.
A bon pas, je remonte la pente douce sur les trois cents mètres de dénivelé qui me séparent du sommet. Tandis que j’approche de la destination, Chambéry se dévoile dans une ouverture de la végétation en arrière-plan du sentier. La désillusion s’installe : la ville, bien visible, témoigne du retrait des flots. L’échec toque-t-il à la porte de mes espoirs ?

Fort heureusement, pas complètement. Une fois la croix atteinte, le panorama plus étendu permet d’établir un point sur la situation. La marée repart indiscutablement au large. Si la Combe de Savoie semble retenir le brouillard, une partie du Grésivaudan est exondée, tout comme le lac du Bourget. Il subsiste dans l’atmosphère résiduelle un effet vaporeux, faisant léviter les montagnes qui le surplombent.
Pendant plus d’une heure, je lézarde devant ce paysage mouvant, assis au bord de la falaise, sous une agréable chaleur. Sans avoir croisé le moindre pèlerin durant mon ascension, le silence s’avère inexistant. Et pour cause, le site domine la vallée, où serpente l’autoroute A43. En résulte un son certes peu puissant, mais continu. Le naïf pourrait croire à la rumeur d’un torrent tout proche ; l’éclairé sait que la réalité est toute autre.
En contrebas, le ressac fait son œuvre sur les rives de Chignin, où les tours sont alternativement noyées, au gré des ondulations marines. Plus tard, l’astre passe derrière le Granier, le froid s’installe. Au loin, la coiffe des vapeurs diffuses chapeautant le Grésivaudan prend une curieuse teinte orangée à la faveur des rayons rasants, bande lumineuse tranchant avec les paysages déjà plongés dans l’ombre.

Le jour se meurt peu à peu, passé les 17 heures. L’humidité qui retombe favorise l’épanchement de la brume, investissant de nouveau les contrées. La fortune tourne en ma faveur : ce que je suis venu chercher s’offre à moi. La mer de nuages se révèle enfin à l’approche de mon heure promise : ces quatre-vingt-dix minutes de clair-obscur entre le déclin du jour et la nuit complète. La luminosité diminue, les temps d’exposition augmentent. Les stratus des bas-fonds s’étirent et prennent des aspects cotonneux. Les lumières urbaines délivrent une myriade de couleurs qui se diffusent dans le brouillard, se conjuguant avec les teintes chaudes subsistant à l’horizon. L’appareil sublime ce que l’œil voit à peine, l’effroyable toile de l’urbanisation revêt, l’espace de quelques minutes, une dimension poétique, où la beauté et l’extraordinaire se côtoient. Villes et villages en sont réduits à de simples halos lumineux, autant d’Atlantides singulières.
L’obscurité est désormais totale, la ligne du ponant ne dégage plus la moindre clarté, marquant la fin de cette parenthèse onirique. J’entame le chemin du retour, à la lueur de la frontale, où je retrouve enfin le silence, seulement trahi par mes foulées…









