Voilà plus de 6 mois que je ne suis pas allé planter la tente en montagne, depuis la fin de mon trip automnal. Le mois de mai, comme chaque année, est synonyme de reprise. D’abord annoncé beau, le temps du week-end vire à un état mitigé. Qu’importe, l’attente n’a que trop duré. Pour commencer sereinement et éviter toute blessure inutile, j’opte pour une boucle sur deux nuits qui, généralement, se fait sur un seul jour : le Granier par la Balme à Collomb et retour par l’Alpette.
En début d’après-midi de ce vendredi, me voici au paisible hameau de la Plagne. Les conditions sont peu engageantes, les sommets baignent dans une épaisse brume.
Chargé de mes 20 kg sur le dos, j’attaque l’ascension tranquillement, arpentant le sous-bois plongé dans un silence religieux, seulement trahi par le chant des oiseaux.
Rapidement, la limite de la forêt est dépassée et, peu après, le sentier s’engage dans cette impressionnante cavité qu’est la Balme à Collomb. J’y reste un petit moment, à contempler la brume qui virevolte à flanc de montagne. Mais l’humidité à l’intérieur de la grotte est telle que j’écarte la possibilité d’y passer la nuit. Ce sera mon plan B en cas de pluie ou d’orage. Je poursuis alors 5 minutes le chemin pour atteindre un petit promontoire surplombant la Balme à Collomb. Protégé de la bise par quelques sapins, ce replat herbeux se révèle parfait pour dormir. Il est inutile voire contreproductif d’aller bivouaquer sur la crête, comme je l’ai un temps imaginé, la faute au vent qu’on entend siffler dans les falaises.
Lentement la luminosité du jour décroît, sans me laisser entrevoir le moindre paysage depuis ce lieu, je m’endors alors rapidement.
Vers 4 heures, je me réveille. Un regard à travers la fermeture éclair : des étoiles ! J’enfile toutes mes couches et m’approche du vide : la mer de nuages s’est abaissée dans la vallée de la Chartreuse, tandis qu’au sud-est se dresse la voie lactée, protégée de la pollution lumineuse par la brume dans le Grésivaudan. J’immortalise la scène et retourne m’assoupir, pour peu de temps car déjà le jour se lève. Comme je le craignais, le retour de la lumière réactive les masses d’air et le brouillard s’élève de nouveau, pour m’envahir totalement vers 6h30. Je vais alors finir ma nuit, que j’achève vers 10h30, ce silence apaisant a eu raison de moi. Une grive, à quelques mètres, s’est chargée de sonner le clairon et de me rappeler qu’il est l’heure de poursuivre le circuit.
Une première journée assez humide et encombrée, mais la nuit a tout de même réservé une jolie scène.
Après cette première journée en demi-teinte jusqu’à la Balme à Collomb, je poursuis le sentier à flanc de falaise et m’enfonce dans un épais brouillard, la visibilité n’excède pas la vingtaine de mètres. Peu de temps après, le chemin tourne à angle droit, c’est tout un raide couloir qu’il faut remonter. Ma crainte est d’y trouver des gros névés sur lesquels une glissade malencontreuse pourrait me faire dévisser une centaine de mètres plus bas. Heureusement, le parcours est praticable dans sa quasi-totalité, seules quelques accumulations de neige çà et là ponctuent la montée, que j’arrive à négocier avec la prudence qui s’impose.
Au sommet de la crête, le doute m’envahit l’espace d’un instant, le marquage jaune indique une direction dont je ne m’attendais pas, vers de gros névés. Le brouillard a ce vicieux pouvoir de déboussoler même les plus expérimentés. Je m’engage alors dans l’inconnu, mais rapidement le sentier est retrouvé, c’est la dernière ligne droite vers le Granier. La brume se dissipe peu à peu, et le soleil a même l’audace de m’éblouir.
Sur les coups de 13h, me voilà à la croix. Un panneau d’information signale la dangerosité des lieux, les parois ayant tendance à aller explorer les forêts au pied du Granier. J’espère que la montagne aura la bienveillance d’attendre mon départ pour réitérer l’effondrement de 1248 !
Je patiente un moment là-haut mais progressivement le brouillard revient, accompagné d’une forte bise. Les sapins au bord du vide entrent alors dans une longue litanie. Je me trouve un endroit protégé par quelques conifères pour installer ma tente. La météo ne changera pas, ou peu, jusqu’à la nuit. La sortie tournerait-elle à la bérézina ?
C’était sans compter sur l’aube. La nuit, les masses d’air ce sont refroidies, tapissant les vallées d’une mer de nuages assez fougueuse, animées par le vent. La sensation de liberté est incroyable, moi qui semble voguer à la proue de cet immense navire calcaire qu’est la Chartreuse. J’immortalise comme il se doit ce type de scène qui ne cessera de m’émerveiller au fil des années.
Pour la descente, j’opte pour le Pas des Barres, passage un peu délicat avec tout ce poids sur le dos. La traversée des prairies de l’Alpette qui s’en suit est toujours un plaisir, avant de replonger sur la fin du sentier jusqu’à la Plagne ; les genoux ont souffert, mais ont tenu !
J’étais venu dans l’espoir d’aller tutoyer les nuages ce week-end. On peut dire que j’ai été servi : plongé dans la brume les trois-quarts du temps dans des conditions assez hostiles, Dame Nature m’a offert le bouquet final en toute fin de sortie. La saison commence plutôt bien !