Bivouac près du refuge du Mont Thabor (2676 m), dans le massif des Cerces, les 6 et 7 septembre 2025.
Le choix de la destination
L’été météorologique a tiré sa révérence, laissant place à septembre, mois de transition qui réserve souvent bien des surprises. Les premières neiges n’ont pas, ou peu, blanchi les sommets, révélant une montagne des plus dégarnies qui soit. Les rares névés subsistent dans les combes protégées à très haute altitude, souvent causés par les résidus avalancheux, épais et compacts.
Pour ce premier week-end de septembre, une fenêtre de clémence s’intercale entre deux épisodes pluvieux. Des conditions idéales pour retourner au coeur des Alpes. Cependant, les cirrus sont annoncés, prémices de la perturbation de la semaine prochaine. Leur présence en nombre dans l’atmosphère dément l’impression de beau temps. Mais surtout, ils ternissent la lumière, notamment au crépuscule où l’ombre triomphe sur le jour, sans explosion des couleurs rougeâtres.
Le choix de la destination se porte sur un secteur prospecté il y a 4 années dans les hautes terres de Maurienne, au coeur du massif des Cerces, à quelques encablures du Mont Thabor.

L’ascension
Tout débute au parking du Lavoir, terminus de la longue piste forestière depuis la station de Valfréjus, près de Modane. Les nombreux véhicules remplissant la zone de stationnement témoignent de l’attrait grandissant des Cerces. Pour autant, c’est bien en dehors des sentiers battus que je projette de passer la nuit, à l’écart du refuge et autres lacs attirant les pèlerins.
L’endroit est chargé d’histoire : il y a 85 ans, les soldats français ont héroïquement résisté contre les Italiens, tandis que le nord de la France connaissait une humiliante déroute face à la puissante Wehrmacht. Au départ, des panneaux rappellent qu’ici, l’armée française est restée invaincue, du moins jusqu’à l’Armistice de juin 40.
Aujourd’hui, les conditions sont bien plus apaisées : soleil, cirrus décoratifs et température agréable agrémentent l’ascension. Le trajet consiste à remonter la vallée, en suivant le chemin parallèle au GR5, le long du torrent sous le col de la vallée étroite.
De part et d’autre, se dressent les grandes murailles, autant de sentinelles surveillant le secteur : le Grand Argentier, Roche Bernaude, Pic du Thabor, Cheval Blanc ou Mounioz. Seul le temps long vaincra ces fantassins rocailleux.

Arrivée à 2676 m
Au niveau de la Combe de la Grande Montagne, le sentier menant au refuge du Mont Thabor est quitté, pour bifurquer au nord. Le vagabondage conduit vers la zone convoitée, à l’est du col des Roches, parsemée de quelques plans d’eau et offrant une vue de choix sur les environs. Un replat herbeux à 2676 m fera l’affaire, atteint après un peu plus de 3 heures de marche, sans forcer. Deux vautours fauves planent au-dessus de ma tête ; n’étant pas désarticulé au pied d’une falaise et bien vivant, je ne constituerai pas leur repas du soir. Ils s’en vont, sans un battement d’ailes, guidés par les courants ascendants. Il règne ici un silence monacal, seulement trahi par le cri de lointaines marmottes. Les nuages élevés défilent lentement, zébrant l’azur de leurs filaments opales.
Nuit de pleine lune
Le soleil décline vers l’horizon. A 19h, il s’éclipse derrière la crête comprise entre les cols des Bataillères et des Roches. Les ombres dévorent inexorablement les lieux : d’abord les lacs Sainte-Marguerite, puis le vallon en dessous, jusqu’à atteindre Roche Bernaude et le Grand Argentier, sans offrir de couleurs exceptionnelles. Entre en scène l’actrice principale de cette sortie. Jaillissant par-delà les cimes, la pleine Lune délivre un spectacle silencieux, lovée dans un horizon d’abord rosé, puis bleuté. Son éclat s’intensifie au fur et à mesure que la nuit progresse, jusqu’à éclairer les lieux d’une lumière argentée ; la frontale devient optionnelle pour se déplacer dans cette pénombre nocturne.
Vers 2 heures du matin, j’immortalise ces paysages luminescents. En dépit de l’altitude et de la saison, la température est plutôt clémente : le thermomètre indique 1°C mais l’absence de vent et d’humidité rend la chose tout à fait supportable.


Premières lumières du jour
Aux premières lueurs de l’aube, me voilà posté au bout de ce lac anonyme et longiforme, face au Cheval Blanc et au Pic du Thabor, reflétés à la quasi-perfection dans ces eaux à peine ondulantes. Toutefois, le relief qui me fait face peine à s’éclairer, alors qu’un bleu intense et pur tapisse le ciel. Les précieuses teintes sont affadies par un voile résiduel côté italien ; il faut attendre près d’un quart d’heure pour profiter de l’ensoleillement matinal, donnant un autre visage au paysage. Rapidement, les rayons d’une douce chaleur gagnent la tente.
Peu avant 9 heures, toutes les affaires sont repliées, sonnant le début du retour. Pour proposer une variante, un crochet par les lacs, le refuge et le col de la vallée étroite est effectué. Après avoir embrassé du regard les Hautes-Alpes, s’amorce la descente finale jusqu’au parking du Lavoir aux alentours de 11 heures, signant la fin de cette escapade mauriennaise.


