Après être descendu via la longue piste du Colle del Sommeiller, je me rends dans la zone de ma prochaine rando, côté français, au Col de l’Echelle (1762 m). Il est à peine midi et le soleil cogne fort, je prends donc quelques heures de repos, à l’ombre.
A 15h40, j’attaque les premières foulées, le sentier attaque droit dans la pente. La chaleur est contrebalancée par l’ombre de la forêt, animée par un léger vent fort bienvenu.
Pour cette dernière étape de mon trip frontalier, j’ai décidé de grimper léger : pas de drone (non autorisé ici, de toute manière), pas de téléobjectif et surtout pas de tente ! C’est donc la première fois que je vais dormir à la belle étoile, le mois d’août d’y prêtant bien. C’est donc avec environ 6 kg de moins que j’avance, et les performances s’en ressentent directement. L’ascension est plutôt rapide. Passées les ruines de tête noire (2183 m), la forêt s’arrête et laisse place à une sorte d’alpage dégarni, aux formes façonnées par l’érosion karstique. Le vent se fait par ailleurs nettement sentir, soutenu par de grosses bourrasques. L’Aiguille Rouge, de ce point de vue, s’élance dans le ciel et paraît presque inaccessible. Pourtant on distingue bien le sentier qui serpente sur son flanc occidental. D’un pas décidé, je pars à sa conquête. J’arrive à la croix sommitale à 17h30, soit 1h50 de montée. D’ici, le panorama à 360° est saisissant : les Alpes italiennes avec Bardonecchia au premier plan, Pic de Rochebrune, Barre des Écrins, Meije, Thabor et d’innombrables cimes qui cisaillent le ciel. Je lézarde un moment, mais vers 19h30, quelque chose m’intrigue vers l’ouest. Un nuage épais et vertical obstrue le soleil, tandis que les Écrins semblent projetés dans l’obscurité. Cela n’augure rien de réjouissant, surtout que je n’ai rien pour me protéger. La masse nuageuse s’avance inexorablement vers moi, offrant au passage de magnifiques jeux de lumière, filtrés par les rideaux de pluie qui se dessinent dans l’atmosphère. Le centre de l’averse semble se diriger au nord, sur le Thabor. Curieux hasard, au moment où le soleil fait son apparition, des gouttes commencent à tomber, de plus en plus fort. Je n’ai pas le temps d’immortaliser l’incroyable et éphémère luminosité qui m’entoure, me précipitant à mettre mes affaires au sec, et de me protéger avec les moyens du bord, dérisoires : mon tapis de sol en mousse !
Fort heureusement, j’étais en périphérie de l’ondée, celle-ci fut brève. Le beau temps réapparaît au-dessus de ma tête, mais côté ouest, c’est toujours encombré, annulant tout espoir de coucher de soleil. Le jour décline mais tout en haut de mon aiguille, je reste dubitatif sur le devenir du ciel pour les prochaines heures : des orages sévissent dans la vallée du Rhône, vont-ils venir jusqu’à la frontière ? Les Écrins sont encore sous la menace et le vent ne faiblit pas. J’hésite longuement et finalement, par précaution, je redescends d’une cinquantaine de mètres à la tombée de la nuit. A la montée, j’y avais repéré un petit abri sous roche, il m’accueillera quelques heures, le temps d’y voir plus clair. Et puis, cette anfractuosité est protégée par une petite statuette de la Vierge, il ne peut donc rien m’arriver !
Je m’endors tant bien que mal dans cet espace exigu, la tête entre deux rochers et les jambes dans la pente. A 1 heure, je me réveille, et vois la voûte céleste : plus un nuage ! Je plie et retourne au sommet, bien déterminé que je suis ! Le ciel n’est pas si clair que cela. Sur la Savoie, l’orage sévit, des flashs lumineux réguliers viennent trahir l’obscurité. Je fais quelques clichés, mais la pollution lumineuse partout autour donne des résultats mitigés. En revanche, le timelapse vers le nord a montré la progression de l’orage lointain, qui s’est évacué sur la Suisse.
Au petit matin, après une nuit étonnamment agréable sur ce parterre dur, je me réveille vers 6 heures, en même temps qu’arrivent deux randonneurs italiens. Pas un nuage à l’horizon et l’atmosphère semble humide, le lever de soleil s’avère relativement médiocre d’un point de vue photos.
Je profite un long moment de cette quiétude montagnarde, pendant que mon duvet sèche, puis entame la descente sur les coups de 8h30. Il ne me fait que 1h15 pour retrouver le Col de l’Echelle, 700 mètres plus bas, point d’orgue de ce fort sympathique trip à la frontière franco-italienne.