En cette mi-juin, la France transpire avec un épisode caniculaire assez précoce, qui n’augure rien de bon pour les années à venir. Seul salut pour échapper à la fournaise des vallées : prendre de l’altitude ! Une opération week-end de trois jours est déclenchée, en direction du Beaufortain, dans un secteur que je n’ai jusqu’alors jamais exploré : la partie méridionale du massif, côté Tarentaise, entre Aime et le Cormet d’Arêches. L’objectif est d’effectuer une petite boucle autour de la Pointe de Combe Bénite. Une piste d’alpage permet de se rendre en voiture assez haut, près du hameau de Thiabord vers 1978 m d’altitude, pour récupérer un départ d’itinéraire. Le thermomètre indique tout de même 25°C en plein milieu d’après-midi.
La balade programmée est plutôt facile et emprunte un sentier en balcon sur le flanc oriental du vallon du Cormet d’Arêches. Il se caractérise par une succession de montées et descentes dans les prairies, dans un calme et une solitude absolus en ce vendredi après-midi. Seules les marmottes, par leur cri strident, témoignent de leur présence. L’ascension est plutôt agréable avec un vent assez soutenu et un ciel qui se voile progressivement, atténuant la sensation de chaleur ambiante. En deux heures, me voilà au Lac de la Gouille (2235 m), terminus de cette courte étape. Ce petit plan d’eau, en cours d’eutrophisation et de comblement, reflète à merveille la Crête de la Raisse, avec ces roches incisant le ciel. Les bourrasques sont importantes dans cette dépression, constituée de zones humides. Il me faut trouver un replat herbeux au sec et à l’abri, chose acquise à quelques dizaines de mètres au nord. Les conditions anticycloniques du moment ne sont pas du tout favorables aux belles ambiances, dans cette atmosphère laiteuse, échauffée et troublée par trop de jours ensoleillés. Néanmoins, la dernière heure de la journée offre une magnifique lumière dorée qui se diffuse dans le Beaufortain, idéalement capturée par le drone lancé dans les cieux. De beaux instants qui viennent conclure cette paisible fin de semaine. La luminosité s’estompe progressivement, l’occasion d’installer mon petit campement qui s’avère des plus rudimentaires : matelas, duvet et sursac. Ce sera une nuit à la belle étoile !
Minuit passé, la Lune émerge par-delà la Vanoise, illuminant les lieux de sa douce lumière, que je m’exécute à capter. Quelques heures plus tard, déjà l’aube qui se manifeste à l’horizon. Le ciel est toujours aussi laiteux, il faut attendre que notre étoile passe par-dessus la nébulosité des basses couches pour offrir des rayons limpides, permettant de beaux jeux de symétrie des cimes sur le plan d’eau. Je retourne ensuite me reposer, pour profiter de la fraîcheur matinale.
C’est finalement à 10 heures que je quitte les lieux, le soleil cogne déjà fort. D’ici, j’aperçois le sommet convoité : La Pointe de Combe Bénite. Le sentier contourne la Crête de la Raisse pour atteindre le Col de Corne Noire (2413 m). Sur le parcours, un couple de Lagopèdes traverse furtivement ma route, avec leur chant si caractéristique et leur vol plané. Malgré l’altitude, l’organisme souffre de la chaleur, au moment d’entamer la dernière ligne droite. La difficulté est toutefois compensée par la beauté du chemin en crête, jusqu’à atteindre l’objectif, en à peine 1h15.
De là-haut, le panorama à 360 degrés est exceptionnel : le Mont Blanc qui émerge, les glaciers de la Vanoise, le Mont Pourri, la chaîne des Aravis, ainsi qu’une bonne partie des coins emblématiques du Beaufortain. Je m’avance sur un promontoire au nord pour contempler le paysage, mais rapidement le soleil me contraint de trouver un endroit ombragé pour patienter, denrée rare en ces lieux ! Cependant les journées sont longues…8 longues heures avant le coucher de soleil, avec pour seule compagnie des mouches et moucherons particulièrement agressifs, et pour cause… En milieu d’après-midi, je consulte les derniers bulletins météo : des orages sont annoncés sur les Hautes-Alpes, et remonteront vers l’Oisans, la Vanoise, voire plus (sous-entendu : là où je suis !). Les animations satellites montrent en effet des bourgeonnements qui s’intensifient à grande vitesse. Je sors de ma cachette, et stupeur : un énorme cumulonimbus en forme d’enclume se dresse au sud de la Tarentaise.
N’ayant rien pour m’abriter, rester ici représente un risque. Je poursuis alors le sentier pour atteindre un sommet sans nom et observe l’évolution. Le nuage grossit à vue d’œil. J’immortalise la scène avec quelques images de drone et remballe. Le ciel s’obscurcit de plus en plus, la température chute. Rien de très engageant et surtout pas prudent de stationner ici. Je prends alors la décision, à contrecœur, de rejoindre la voiture en finissant la boucle entamée la veille. Une fois celle-ci atteinte vers 19h, quelques coups de tonnerre résonnent au loin et de frustrants jeux de lumière s’abattent sur le Beaufortain, que je ne peux hélas capter. Finalement, l’orage n’est pas venu jusqu’ici, mais il s’en est fallu de peu. Il faut parfois savoir renoncer plutôt que tenter l’imprudence, c’est la leçon qu’on retiendra de cette sympathique virée savoyarde.