Mai. L’évocation de ce simple mot résonne chez moi comme la fin de l’hibernation et le début d’un nouveau cycle. Pourtant, les derniers mois furent relativement chaotiques sur le plan météorologique. L’hiver a tardé à démarrer, puis un improbable épisode caniculaire s’est intercalé en mars. Au final, c’est au début du printemps que l’or blanc s’est accumulé en altitude, tandis qu’en vallée la pluie a démoralisé les plus optimistes d’entre nous.
Après encore quelques jours de déluge, le pont de l’Ascension offre enfin une fenêtre météo. Cependant, les ambitions doivent rester mesurées, les cumuls de neige sont encore forts au-dessus de 2000 mètres. Les sommets modestes prennent alors toute leur importance en cette saison, pour à la fois fouler les sentiers sur la terre ferme, et effectuer une reprise en douceur.
Parmi les différentes possibilités, la montagne de Sulens constitue une solution idéale. Loti entre les imposantes murailles des Aravis et de la Tournette, ce petit relief recouvert d’alpages, bien exposé, culmine à 1839 mètres.
Jour férié oblige, l’affluence est au rendez-vous au niveau du parking du Col de Plan Bois (1299 m). Nombreuses sont les personnes à être venues profiter du soleil et des verdoyantes prairies, la file de voitures garées remontent le long de la route. Une grande partie de l’itinéraire pédestre emprunte une piste d’alpage, démarrant d’abord en sous-bois, puis dans un secteur totalement ouvert. Le temps est idéal, les températures clémentes au soleil baissent cependant vite au passage des nuages, défilant dans l’azur. Quelques insouciantes marmottes courent ci et là.
Témoin des derniers jours pluvieux, l’humidité ambiante se manifeste aux abords des plus hautes cimes : les Aravis sont coiffés de brumes, tout comme la Tournette qui leur fait face, les deux se répondant avec leurs sommets blanchis.
Les dernières foulées suivent la ligne de crête, jusqu’à atteindre la table d’orientation matérialisant la destination finale, il est environ 17 heures. J’installe ma tente sur un léger replat en contrebas, aux premières loges pour profiter du panorama. Au fur et à mesure que le jour décline, la nébulosité s’évapore des reliefs. A l’ouest, le Soleil diffuse ses rayons à travers les ultimes lambeaux nuageux, offrant de beaux jeux de lumière. Les alpages se parent de tons dorés, le Mont Blanc tout juste visible se transforme en une vaste étincelle céleste, tandis que l’étoile se meurt par-delà le Rocher de Belchamp.
La température dégringole, l’humidité retombe, les ombres investissent les lieux, c’est l’arrivée de la nuit. Je rejoins mon abri de fortune pour quelques heures. Dans l’obscurité du firmament, se dévoile un fin croissant de Lune, qui vit ses derniers instants avant de rejoindre l’horizon.
Vers 1h du matin, le silence règne en ces lieux. Un bruit suspect sur la toile de ma tente m’extirpe du sommeil. Il se répète. Je saisis la frontale et éclaire l’extérieur. Un renard débonnaire poursuit son chemin, reniflant le sol, guère importuné par ma lumière et le son de ma voix. Etonnante rencontre. Etant réveillé, j’embarque appareil et trépied pour quelques captations nocturnes. La Voie Lactée enrobe le massif des Aravis sous sa coupole lumineuse. Spectacle perceptible pour les yeux, féérique pour le capteur photo, révélant la draperie cosmique dans tous ses détails.
Dès 5 heures, les lueurs de l’aube apparaissent peu à peu. Le silence est trahi par le retour d’une légère brise et les mélodies de l’Alouette des champs, fidèle compagnon des bivouacs d’altitude. Le ciel s’est dégarni de tous ses nuages, l’horizon est encombré de quelques voiles, tandis que l’atmosphère conserve un bon taux d’humidité. Autant d’ingrédients pour créer un lever de soleil banal : les montagnes se vêtissent de fades teintes orangées, loin de me convaincre. Je plie bagage pour retrouver la voiture. Une belle remise en jambe pour démarrer la saison !