Bivouac sous la montagne d’Outray, Beaufortain, 24 et 25 mai 2025
Le choix de la destination
Une petite vague de fraîcheur a envahi les Alpes ces derniers jours, recouvrant les cimes d’une pellicule blanche. Persistance de l’hiver dans cette phase avancée du printemps, ce phénomène n’a toutefois rien d’anormal à ces altitudes. Néanmoins, cela retarde d’autant les pérégrinations à plus de 2500 mètres, l’épaisseur du manteau albâtre est encore importante.
La montagne s’en trouve encore plus dangereuse, la belle saison déjà entamée en vallée n’est pas parvenue jusqu’aux plus hauts sommets. Preuve en est, des jeunes tragiquement décédés dans l’ascension de la Tournette la semaine précédente, conduisant les autorités locales à purement et simplement en interdire l’accès, le temps de retrouver des sentiers praticables.
Bien que le week-end s’annonce mitigé au niveau des conditions photographiques, je ressens une incontrôlable envie d’arpenter les Alpes. Déclinant in extremis, mais à juste titre, l’option du vendredi soir, en raison du plafond nuageux et du vent qui se sont emparés des hauts reliefs, je me résous à y aller le samedi.
Toujours dans ma quête d’explorer les coins proches de chez moi en Savoie, c’est une nouvelle fois le massif du Beaufortain qui remporte les suffrages. Il subsiste encore un secteur où je n’ai pas encore traîné mes souliers : celui de la montagne d’Outray, délimitée par Beaufort, le barrage de la Girotte et celui de la Gittaz. A défaut de belles photos en perspective, cela me servira de repérage.


En direction de la montagne d’Outray
Sous un ciel partagé entre éclaircies au sud et voile épais au nord, je m’élance depuis le parking de Plan du Mont (1506 m), tandis que les cloches du village annoncent 14 heures. L’itinéraire attaque droit dans la pente, au sein d’une paisible forêt, puis contourne tranquillement le versant jusqu’à atteindre un croisement à Outray (1820 m). A partir de là, les choses sérieuses commencent. Le sentier s’engage dans une combe exposée au nord et, comme je l’avais envisagé, la neige est de la partie sur une bonne section. Prévoyant le coup, je sors les crampons afin de gagner en accroche sur ce revêtement plutôt tassé. Un équipement plus de confort que de survie ; une glissade n’aurait pas de conséquences dramatiques, le pierrier en contrebas arrêterait ma chute.
Avec ces foulées plus lentes, ma progression est ralentie, mais au bout d’une heure, me voici au Pas d’Outray (2182 m). Le panorama se dévoile sur le cœur du Beaufortain encore enneigé, jusqu’aux Aravis, tandis que je surplombe Beaufort, blotti dans la vallée. C’est aussi l’apparition de la bise qui, conjuguée au soleil tamisé par les nuages, mord la chair. Le vent du nord à nord-ouest est annoncé. Il fait partie de ma liste des ennemis, derrière l’orage. Prévoyant de bivouaquer dans le secteur compris entre le Pas d’Outray et le col du Sallestet, je repère sur la droite un promontoire herbeux et vallonné dominant Roselend. Le lieu s’annonce plutôt favorable, il suffira de poser la tente dans un creux pour être protégé des rafales. Je m’y exécute.
Ce point de vue, mentionné sur aucune carte, propose une vision plutôt inhabituelle du barrage, bien que toute l’étendue d’eau ne soit pas observable. En revanche, on peut admirer tout le génie civil de la voûte qui me fait face. Je reste un long moment à profiter du paysage et du soleil, dans un silence qui aurait pu être total sans l’insupportable tintamarre des motos montant au col du Méraillet, puis de Roselend.
Le petit plateau derrière moi est ponctué de crocus, certains d’entre eux jaillissent des lambeaux de neige, dont l’espérance de vie se compte en jours, afin de définitivement passer le relais au printemps puis au tout proche été.


L’arrivée des nuages élevés
Le jour décline peu à peu. Tandis que notre étoile s’approche de l’horizon, un front opaque débarque du nord, obstruant progressivement l’azur. De fugaces percées consolent ma soirée avant l’envahissement des ombres. Comme prévu, le coucher de soleil n’a pas eu lieu.
Je rejoins ma tente à la tombée de la nuit, le thermomètre indique 1°C, température fraîche s’il en est, mais totalement supportable en l’absence de vent.
Vers 1h30 le réveil sonne. Je m’extirpe du duvet pour quelques images nocturnes, mais le voile est toujours là, les étoiles peu visibles, inutile d’insister.

Par acquis de conscience, l’alarme du téléphone retentit de nouveau à 5h30, à l’est et au-dessus de ma tête, l’atmosphère est totalement bouchée : il n’y aura aucune couleur matinale.
Le sommeil m’emporte une nouvelle fois, jusqu’à 8h. Peu à peu le voile se déchire et laisse place à un beau temps. L’esthétique du ciel se voit cependant meurtrie par une multitude de zébrures blanches, dues à la circulation des avions. Les lieux retrouvent un calme inhabituel pour un dimanche matin de mai et, pour cause : la route du cormet de Roselend est fermée de 8h à 12h30 en raison d’une épreuve cycliste. Motos et grosses cylindrées s’en sont allées nuire d’autres cols alpins. Dans ce silence diurne reconquis, je profite encore de la quiétude du lieu avant d’entamer le chemin du retour vers 11h, puis de retrouver la voiture quatre-vingt-dix minutes plus tard.
Peu d’images rapportées de cette sortie, mais une reconnaissance des lieux bienvenue lorsque les conditions seront réunies, l’endroit a clairement du potentiel, loin des chemins connus du Beaufortain.
