Bivouac au Rocher de la Sèche (2580 m), massif de la Vanoise, le 21 et 22 juin 2025.
Le choix de la destination
En cette mi-juin, les Alpes et la France tout entière suffoquent. Un blocage anticyclonique fait remonter l’air chaud en provenance d’Afrique. En conséquence, les températures croissent de jour en jour, pour atteindre leur paroxysme ce week-end. Il apparaît naturel et vital d’aller chercher la fraîcheur en altitude, d’autant plus que ce samedi constitue le solstice d’été, événement à célébrer là-haut, comme il se doit.
Pour autant, il va falloir sélectionner la destination intelligemment. Le début de la saison estivale et la chaleur font se déplacer les foules. De plus en plus, la montagne devient un endroit à la mode, les lieux connus se transforment en grand cirque à ciel ouvert, attirant une population bien éloignée des valeurs traditionnellement requises pour ce type d’activité. Résultat : des grands rassemblements de tentes, des lacs pris pour des bases nautiques, du bruit ou encore des feux anarchiques.
N’ayant aucune envie de côtoyer cette faune-là, je poursuis ma quête de lieux plus intimes, moins « instagrammables ». Direction une des rares vallées de Savoie que je n’ai pas encore explorée à ce jour : celle de Champagny-en-Vanoise, où s’écoule le Doron éponyme. Il faut poursuivre la route RD91b afin de rejoindre le hameau de Champagny-le-Haut, sortant ainsi de l’ambiance de station de sports d’hiver régnant depuis Moûtiers. On pénètre alors dans le royaume de la Vanoise, où le beau et l’équilibre se conjuguent pour le bonheur des yeux. Ce petit village authentique est blotti dans un écrin de nature sauvage et abrupte, que je m’apprête à arpenter.

Ascension au Rocher de la Sèche
Peu après 15 heures, la voiture est garée au parking bordant le hameau (1470 m). Une tenace préoccupation va m’accompagner tout au long de l’ascension : la météo va-t-elle tourner à l’orage ? Les prévisions semblent pourtant unanimement optimistes. Toutefois, elles l’étaient également la veille, mais certains secteurs se sont fait copieusement arroser et la foudre a pilonné les hauts massifs. Preuve que mon trauma de l’année dernière persiste.
La rive droite du Doron de Champagny est bordée d’une muraille de prairies et de roches dépassant les trois mille mètres d’altitude. Il va falloir en remonter une grande partie, puisque 1100 mètres de dénivelé sont programmés pour rejoindre l’objectif du jour, aux abords de Froide Fontaine, au sommet du Rocher de la Sèche.
Sous un soleil accablant, les premières foulées sont délivrées. Je profite de la fraîcheur offerte par le bois de la Combe dominant les habitations, dont je m’extirpe hélas bien trop rapidement. L’itinéraire emprunte ensuite sans discontinuer les alpages, via un sentier sinueux et raide, ne ménageant nullement cuisses et mollets, surtout chargé de mes 18 kg sur le dos.
J’atteins rapidement les bâtiments de Lécheron (2100 m), où je rencontre les bergers. Ces derniers me rassurent sur la météo qui ne devrait pas empirer. Pourtant l’ennuagement s’est intensifié, les cumulus d’un gris menaçant enrobent les cimes. Le vent souffle également fort, il commence presque à faire frais quand les nuages obstruent le soleil. Après un nouvel effort, j’atteins le chalet de Fontaine Froide (2450 m). J’y salue son propriétaire : ce sera mon lieu de repli si la météo tourne au vinaigre.


Un panorama saisissant
Quelques enjambées plus tard, me voilà arrivé à destination, trouvant ce que je suis venu chercher : l’anonymat d’un lieu à l’écart des sentiers, vulgaire point côté 2580 m sur la carte IGN, mais offrant un panorama de premier choix sur la vallée.
Telle une île au large de l’océan, l’endroit est exposé aux quatre vents (surtout à celui d’ouest, en vrai). De magnifiques jeux de lumières s’offrent à moi ici, filtrées par les nombreux cumulus, apportant une touche de poésie sur les versants.
Autant la météo semble hostile en Suisse et au nord de l’Italie, à en croire mes applications spécialisées, autant les Alpes françaises paraissent épargnées par le courroux des cieux. Me voilà rassuré.
Je salue le soleil, disparaissant derrière la Pointe du Tougne, distillant au passage quelques teintes rougeâtres sur les sommets de Vanoise.


Féérie nocturne
Il est temps d’aller chercher un endroit abrité pour installer mon bivouac. Un replat trouvé en dessous fera l’affaire. La tente est mise en place à la tombée de la nuit, la montre indique 22 heures.
Le réveil m’arrache d’un sommeil à peine trouvé, à minuit et demi. Place aux photographies nocturnes. Du côté du cœur de la Vanoise, la pollution lumineuse est presque inexistante, la Voie lactée se dresse majestueusement dans le céleste, formant un arc de cercle entre le Becqui Rouge (nord-est) et le Grand Bec (sud). Jusqu’à 2 heures du matin, j’immortalise le plafond astral, dans un silence absolu, même le vent s’est tu.
A 5h30, le réveil retentit de nouveau, mais cette fois la fatigue prend le dessus. Le ciel trop limpide et uniforme ne favorisera aucune production de belle image. Je profite alors des premières caresses du soleil, blotti dans mon duvet. Les rayons ardents sèchent rapidement la toile, perlée de rosée d’une nuit humide. Quelques oiseaux chantent, des cris de marmottes retentissent au loin. Je sors la tête de la tente : à 100 mètres, un vieux bouquetin solitaire contemple le paysage. Mon alter ego.

Retour en vallée
Sans la moindre culpabilité, je joue la montre ici, guère déterminé à retrouver la civilisation, surtout que ce dimanche est annoncé comme étant le pire de la semaine en termes de chaleur. Finalement, à 10h30 débute le chemin du retour. Deux heures plus tard, le parking est retrouvé, sous un cagnard piquant, faisant redouter les retrouvailles avec les basses vallées.
Un parcours physiquement exigeant, mais quelques belles ambiances captées là-haut, le solstice d’été 2025 aura été dignement honoré en terres savoyardes.
