Bivouac aux rochers des Enclaves dans le massif du Beaufortain, les 16 et 17 août 2025.
Le choix de la sortie
Une fois de plus, l’Hexagone suffoque sous une nouvelle vague de canicule, particulièrement longue et éprouvante pour les organismes. Les conditions anticycloniques ne favorisent pas les belles images, la faute à des lumières ternies par les voiles qui stagnent dans les basses couches. Les quelques orages vespéraux, pourtant bienvenus, n’améliorent en rien les conditions. C’est avec une certaine perplexité que je me décide à tutoyer les cimes, bien conscient des faibles potentialités qui s’offriront à moi. Quand l’hésitation s’impose, le tout proche Beaufortain constitue toujours une valeur sûre. Pour autant, afin de s’assurer un minimum de tranquillité, mieux vaut s’éloigner des spots à la mode, sous peine de finir en camping d’altitude. L’été bat encore son plein, certaines zones sont à éviter.
Au printemps dernier, lors d’un bivouac sous la montagne d’Outray, j’avais repéré à l’est un petit chainon sauvage, dans un des rares secteurs inconnus du massif pour moi : les rochers des Enclaves. Voilà enfin l’opportunité de partir à la découverte de cet endroit. Le départ s’effectue depuis la dernière épingle de la route sous le col du Joly, à la cote 1860 mètres. Au sud, l’objectif se distingue, il parait si lointain. Il se paie au prix de 7 kilomètres de marche.
L’ascension des rochers des Enclaves
L’horloge indique 16 heures passées lorsque débute l’ascension. Le ciel s’est paré de cumulus qui n’ont rien de décoratifs. Le Mont Blanc arbore ses apparats d’un gris sombre, le masquant dans sa totalité. Cependant les prévisions s’accordent pour dire qu’aucun orage ne menace les terres savoyardes. La montée s’effectue tranquillement dans un vallon chahuté par moult effondrements, lui donnant un aspect chaotique. Celui-ci contraste avec les quelques alpages verdoyants où paissent de belles tarines, ponctués de gouilles dans lesquelles se reflète l’azur.
Le col de la Gittaz atteint, la dernière ligne droite s’amorce, pour arpenter les rochers des Enclaves. Contrairement aux sommets classiques, le site s’étend tout en longueur, obligeant à un choix sur le panorama : soit l’extrémité sud pour dominer le barrage de Roselend, soit la partie centrale pour surplomber le barrage de la Girotte. La seconde proposition est retenue, alors qu’il règne un vent soutenu sur le plateau sommital.

Coucher de soleil depuis le sommet
J’explore la zone méridionale, tandis que les rayons se diffusent à travers les nuages vers l’ouest. Par le jeu du hasard, se succèdent dans les plans deux visions de la foi : ancestrale avec la croix marquant la montagne d’Outray, moderne avec le sommet des remontées mécaniques du Mont Bisanne (domaine skiable des Saisies). L’astre incandescent glisse inexorablement vers l’horizon. Les micaschistes et gneiss sous la Tête de la Cicle se parent de teintes chaudes, amplifiées par la couleur naturellement rosée des roches. Phénomène de courte durée, le Soleil rencontre les voiles épais des basses couches, puis prend alors son aspect de boule rouge.
Il n’éclaire déjà plus rien, mais offre un magnifique spectacle dans ses dernières minutes de vie. Le petit point vermeil vient se loger près du fauteuil de la Tournette, ultime souffle du jour avant l’arrivée de la nuit. En contrebas, un cri m’interpelle : une immense harde de 20 à 30 bouquetins traverse le pierrier, tels des fugitifs échappant à je ne sais quelle menace.

Nuit humide à la belle étoile
Avant que l’obscurité ne soit complète, je trouve un replat abrité du vent pour y installer mon bivouac, se réduisant à un tapis de sol, le duvet entouré de son sursac protecteur. L’humidité se fait déjà ressentir à en juger la moiteur des vêtements. Je m’assoupis un moment avant de sortir peu avant minuit, pour quelques images de la voie Lactée. L’exercice est peu convaincant, l’atmosphère souffre d’un cruel manque de limpidité. En témoigne la buée qui se forme continuellement sur le matériel photographique. Au sud-est, d’incessants flashs trahissent la pénombre : un orage sévit sur le piémont italien. Quelques minutes plus tard, la Lune jaillit par-delà le Mont Blanc, distillant sa lumière argentée sur le paysage nocturne.

Douceur de l’aube aux Rochers des Enclaves
Après quelques heures d’un sommeil en pointillés, le réveil sonne vers 6 heures. Tout est trempé : sac, duvet, affaires. L’humidité s’est amplifiée. Elle se manifeste également dans le ciel, le Mont Blanc arbore de nouveau son écharpe de brume, débordement des masses d’air en provenance de Suisse et d’Italie. Le jour s’éveille dans des couleurs blafardes, affadies par l’hygrométrie élevée. Pour preuve, le tout proche massif des Aravis est à peine discernable. Lorsque le Soleil émerge à l’est, de beaux jeux de lumière s’invitent, tantôt diffusée par la brume, tantôt filtrée par les nuages, telles des percées divines.


A 9 heures, il est temps de quitter les lieux pour entamer le chemin du retour. Deux plus tard, la voiture est retrouvée, épilogue d’une sortie aux ambiances plus belles qu’imaginées, de quoi être satisfait.
