Bivouac à la Roche Pourrie, 5 et 6 août 2025, massif du Beaufortain

Le choix de la sortie
Après un éprouvant trek de 90 km autour de la chaîne des Puys en Auvergne la semaine précédente, retour dans mes massifs alpins. Les pieds encore endoloris par l’effort, il me faut ménager ma monture en optant pour un parcours modeste. La météo présentant des conditions anticycloniques avec une Lune brillant fort, il s’avère inutile d’aller très loin. Chercher la pollution lumineuse des villes, conjuguée à la clarté nocturne, constitue une option à privilégier, comme il y a un mois jour pour jour au Grand Arc. L’analogie du raisonnement me conduit même à aller explorer un sommet qui m’observe au quotidien, au-dessus d’Albertville : la Roche Pourrie (2037 m). Il s’agit d’une des cimes les plus à l’ouest du massif du Beaufortain, les flancs qui la bordent plongent jusqu’aux rivières de l’Isère et de l’Arly, dans la vallée urbanisée.
C’est également un jour particulier, le 5 août étant mon anniversaire. Quoi de plus normal que d’aller célébrer cela en bonne compagnie, avec mes montagnes. Direction le parking du Chalet forestier des Chappes (1480 m), au terme d’une longue route zigzaguant dans la forêt.

Ascension de la Roche Pourrie
Un trajet relativement court m’attend, seuls 550 mètres de dénivelé sont au programme. L’ascension débute par une mise en jambes en pente douce, sur la piste puis le sentier, jusqu’à atteindre le chalet du Haut du Pré où stationne un troupeau de tarines. Malgré un retour annoncé de la chaleur, les températures restent agréables, la fraîcheur est même de mise, le ciel étant fortement chargé en nébulosité, le Soleil peine à se frayer un passage. La dernière partie de l’itinéraire est aussi la plus sportive : les courbes de niveau se resserrent, la pente s’accentue. Après d’ultimes efforts, me voilà parvenu à mon objectif. L’endroit s’apparente davantage à une crête déchiquetée, sur laquelle reposent une stèle et deux tables d’orientation. Côté sud, un dédale d’éboulis qui contraste avec la végétation basse et les quelques résineux de la face opposée.
Au-dessus des Bauges, un imposant nuage surplombe le massif. Les rayons du soleil filtrent au travers, offrant d’envoûtants jeux de lumière sur la vallée de l’Isère. Ceux-ci s’estompent lorsque l’étoile approche de l’horizon, apportant une dorure relativement éphémère aux versants qui m’entourent. Rapidement, la luminosité s’affadit, les voiles à l’ouest tamisent l’éclat de l’astre incandescent. Au fur et à mesure qu’il descend, il se transforme en boule rouge, petite étincelle perdue dans un paysage sans contraste. Par-delà la Dent de Cons coiffée d’une écharpe de brume, le Soleil expulse son dernier souffle, passant le relai à la nuit. A l’opposé, la Lune pleine à 86% se manifeste derrière les nuages qui se déchirent.

Nuit humide
Les ombres progressant, j’installe un campement des plus sommaires. Etant donné l’exiguïté du site, la tente est restée à la maison, optant pour une nuit à la belle étoile. Un simulacre de replat entre la stèle et l’une des deux tables d’orientation constituera mon spot de bivouac. Malgré l’inconfort certain, le fait d’être calé entre les deux constructions m’évitera toute glissade dans le précipice en cas de sommeil agité. Je patiente à l’extérieur, guettant la fin des dernières lueurs à l’horizon, pour entamer quelques captations nocturnes. Malheureusement, le résultat n’est pas à la hauteur de mes attentes. L’atmosphère semble être gorgée de particules, les paysages ne jouissent pas d’une grande limpidité. La lumière des villes se diffuse dans l’azur en créant des halos bien inesthétiques, je n’insiste pas. En dépit des températures clémentes, je peine à m’endormir, le sol étant caillouteux et à l’évidence bosselé.

Teintes blêmes au réveil
Après seulement environ quatre à cinq heures de somnolence, le ciel d’Orient s’éclaire. Duvet et affaires sont perlés de rosée, preuve du fort taux d’humidité régnant en altitude. Les voiles paraissent avoir gagné en intensité, notamment au-dessus du Mont Blanc, où timidement les rougeurs s’amorcent. Partout, les éléments sont estompés, les Alpes se parent de couleurs pastel. Aux tons églantine des cieux s’opposent les nuances indigo des zones encore dans l’ombre. Quelques vallées de Haute-Savoie arborent des mers de nuages localisées, qui débordent par les cols.
Dans une certaine indifférence, le Soleil jaillit du massif du Mont Blanc, distillant de pâles rayons sur de blêmes montagnes. Devant ce fade spectacle, j’allais plier les affaires, quand un ballet de brume s’invite sans prévenir. Ondulant sur les tout proches versants, ils se transforment en draperies dorées, d’une majestueuse beauté, quelques minutes durant. Un cadeau inespéré pour clore cette session à la Roche Pourrie.

